COROT (C.)

COROT (C.)
COROT (C.)

Zola voyait en Corot un précurseur de Pissarro et de Jongkind, le premier à avoir rompu avec le paysage classique hérité de Poussin, pionnier de la peinture de plein air et du “sentiment vrai [...] de la nature” (Mon Salon. Les paysagistes , 1868). Ce jugement, fondé essentiellement sur les paysages de la dernière manière de l’artiste, ne rend pas compte de l’originalité véritable de Corot. Un “pleinairisme” avant la lettre se pratiquait depuis longtemps – chez Alexandre François Desportes (1661-1743), chez le Gallois Thomas Jones (1743-1803). À l’inverse, une toile comme Souvenir de Mortefontaine (1864, musée du Louvre) renoue, tard dans le siècle, avec le classique paysage composé en atelier, peuplé de figures de convention, dont le jeune Corot passe pour avoir été le fossoyeur. Jusqu’à la fin de sa vie, Corot resta un classique. La révolution dont on le crédite dans l’art du paysage s’inscrit en fait dans la logique amorcée par Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) et par les tenants du “paysage historique” de la fin du XVIIIe siècle. Les études italiennes peintes par ce fils de commerçants parisiens, parti pour Rome à ses frais, entre 1825 et 1828, affichent un refus quelque peu ambigu de l’“histoire”, s’attachent à une nature très construite, géométrisée, souvent urbaine. Elles renouvellent le genre de la veduta , vue stéréotypée peinte pour une clientèle de touristes. Attentif à toutes les innovations – pratiquant parmi les premiers (1853) la technique du cliché-verre qui consiste à dessiner sur une plaque photographique, tirée ensuite sur papier sensible –, Corot resta un esprit libre, jouant les autodidactes naïfs, en marge des courants artistiques de son temps.

Corot et l’école du “paysage historique”

Les Salons très politisés de l’époque révolutionnaire ont paradoxalement consacré en France le succès du paysage et du portrait. La production dans ces domaines – à Paris, en province, dans le groupe européen des artistes vivant à Rome – accompagne un relatif désintérêt du public pour la peinture d’histoire officielle. Élève d’Achille-Etna Michallon (1796-1822), premier lauréat du prix de Rome de paysage historique, institué à l’instigation de Valenciennes, et qui marqua officiellement la reconnaissance académique d’un genre tenu pour mineur depuis le XVIIe siècle, passé après la mort de Michallon dans l’atelier de Jean-Victor Bertin (1767-1842), Corot apprit à travailler sur le motif pour composer ensuite, en atelier, des paysages qui servent de décor à une action historique, biblique ou mythologique. La technique de l’époque est simple: l’artiste dessine en plein air, peint sur le motif des “études” à l’huile sur carton. Ces matériaux sont nécessaires à l’élaboration des compositions exposées ensuite, qui n’ont qu’un rapport lointain avec le réel. Toute sa vie, Corot s’adonna à ce genre noble, qui rattache le paysage à la “grande peinture”. Un tableau comme Agar dans le désert (1835, Metropolitan Museum, New York) est construit en reprenant des éléments (arbres, rochers) étudiés en divers lieux. Tant Homère et les Bergers (1845, musée de Saint-Lô) que le Baptême du Christ (1845-1847, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris) témoignent de cette volonté de prolonger, dans la composition autant que dans les sujets eux-mêmes, une tradition.

Dans ses œuvres tardives, alors que le paysage historique est un genre démodé, que le prix de Rome en cette section avait été supprimé (1863), Corot continue de peindre des divinités dans les forêts imaginaires qu’il prétend représenter “de souvenir” (Une matinée, danse des nymphes , 1860, musée d’Orsay). On peut donc interpréter ses dernières œuvres comme l’affirmation, à contre-courant, de la pérennité d’une manière qu’il hérite entièrement du XVIIIe siècle. Corot s’affiche lecteur d’André Chénier en un temps où le réalisme triomphe. Zola s’écrie en 1866: “Si M. Corot consentait à tuer une fois pour toutes les nymphes dont il peuple ses bois, et à les remplacer par des paysannes, je l’aimerais outre mesure.”

Les “études”

Quand Corot s’emploie en revanche à peindre dans des sites obligés, il en renouvelle la vision (Le Colisée vu de la basilique de Constantin , musée du Louvre). Faites pour rester à l’atelier, pour servir d’aide-mémoire, ces études fixent un instant de la journée, un éclairage. Utiles à l’artiste et à ses élèves, ces tableautins que l’on n’encadrait pas décoraient au retour les murs des ateliers (voir l’arrière-plan de La Dame en bleu , 1874, musée du Louvre). On les conservait rarement après la mort des artistes. Il est donc original, en ces années, de s’affirmer comme un maître de l’étude peinte. Corot acquiert une renommée certaine dans le milieu cosmopolite des paysagistes qui travaillent alors dans la campagne romaine, mais, comme les Britanniques, les Allemands, les Nordiques avec lesquels, dans le petit groupe français, il travaille, il se place lui aussi dans les sites pittoresques. On reconnaît son habileté, nul ne le juge “révolutionnaire”.

C’est l’idée de montrer à tous de telles pochades, comme Corot lui-même les nommait, de les considérer comme des œuvres achevées, susceptibles d’être exposées, qui constitue sans doute la révolution opérée par l’artiste. À une époque où son ambition reste d’envoyer au Salon un grand paysage composé, conçu strictement selon les normes du temps (Le Pont de Narni , 1827, National Gallery, Ottawa), il n’a sans doute aucune conscience de la valeur que le goût des années suivantes accorderait à une production mineure, très abondante, mais clairement en marge de son métier. Si révolution il y a, elle intervient tardivement: ce n’est qu’en 1849 qu’il expose au Salon la Vue du Colisée , peinte en 1826, et qu’à sa mort il légua au Louvre. Le tableau fait partie d’un “triptyque” (avec Le Forum , musée du Louvre, et Vue des jardins Farnèse , Phillips Collection, Washington), qui constitue à la fois un hommage à la classique peinture de ruines, de tradition romaine, et un regroupement d’études montrant un même lieu, sous des angles différents, à trois moments de la journée. Commencées en plein air, élaborées en plusieurs séances, de telles toiles sont retravaillées en atelier, notamment dans les frondaisons, pour en accentuer de manière artificielle le caractère spontané. Le regard du peintre sur la Rome antique, considérée comme un paysage comme un autre, était neuf en 1826; le regard du spectateur de 1849, qui a appris à voir des paysages sans figures mythologiques, qui ne racontent rien et prétendent à la vérité, l’est tout autant.

Tout au long de ses voyages en France (outre le séjour italien de sa jeunesse et les deux voyages qu’il fit à nouveau dans la péninsule en 1834 et en 1843), Corot multiplie les “vues”, naïves en apparence, de ce qu’il voit de sa fenêtre ou du bord d’un chemin (Orléans et la tour de Saint-Paterne , 1843, musée de Strasbourg). Pourtant, la culture visuelle de celui qui s’habille comme un paysan pour arpenter la campagne et prétend tout ignorer des maîtres est réelle. À Rome, il avait peint, comme un hommage, une vue des berges du Tibre, sans personnage, La Promenade du Poussin (1826-1827, musée du Louvre). Son Odalisque romaine (Marietta, 1843, Petit Palais) invoque Ingres. La Jeune Fille à la perle (1869, musée du Louvre) emprunte sa pose à la Joconde. Corot a donc conscience d’inscrire sa peinture dans une histoire de l’art. Ses révolutions ont toujours été faites dans la voie que ses maîtres lui avaient désignée: faire reconnaître la dignité du paysage; montrer, grâce à ses figures et à ses portraits (Claire Sennegon , 1838, musée du Louvre), qu’il n’est pas qu’un paysagiste.

Corot, chef d’école?

Corot se distingue donc autant du néo-classicisme qui constituait sa culture de jeunesse que d’un romantisme, devenu style officiel à l’époque de sa maturité. Admiré par Delacroix et par Baudelaire, par Millet et par Zola, il s’affiche indifférent aux débats artistiques de son temps. Sans préoccupations politiques, il commence en 1830 à peindre la cathédrale de Chartres, achevée en 1872 (musée du Louvre). On l’estime durant sa vie pour des œuvres (La Fuite en Égypte , 1840, église de Rosny-sur-Seine) qui sont aujourd’hui oubliées. Dès ses années de Rome, Théodore Caruelle d’Aligny (1798-1871), à la terrasse du café Greco où se retrouvent les paysagistes, l’avait appelé “notre maître”. Corot eut en effet de nombreux élèves et une foule d’imitateurs – d’où les faux Corot que l’on trouve dans tous les musées du monde et les problèmes d’attribution que posent bon nombre des toiles qui lui sont trop généreusement données. Par ses dessins, son œuvre gravé – Corot, auteur d’une centaine de planches, pratiqua l’eau-forte, la lithographie, le cliché-verre surtout –, le nombre important de ses peintures – peut-être un peu moins de trois mille œuvres –, Corot exerça une grande influence sur tous les suiveurs qui adoptèrent sa manière mais aussi sur les artistes du groupe de Barbizon – et ainsi, dans l’Europe entière, en particulier chez les Macchiaioli italiens à la génération suivante.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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